Il y a une quarantaine d’années, faire pousser de la vigne au Québec était un pari risqué. En effet, l’hiver québécois, avec ses grands froids, peut être très dommageable, voire mortel, pour certaines variétés de vignes. Qu’à cela ne tienne, les vignerons d’ici se sont retroussé les manches afin de trouver des solutions pour pouvoir poursuivre leur rêve de faire pousser de la vigne sur notre territoire nordique.
Charles-Henri de Coussergues, du vignoble L’Orpailleur, acteur et témoin de toutes les évolutions relatives à la protection contre les gels hivernaux nous raconte.
Photo: C.H. de Coussergues
Quand vous avez démarré votre vignoble en 1982, aviez-vous déjà en tête qu’il faudrait protéger vos vignes pendant l’hiver?
Oui. On n’aurait pas démarré un vignoble au Québec sans avoir les moyens de le protéger en hiver. On avait espoir de le faire en buttant les pieds de vigne, c’est-à-dire en les recouvrant de terre à l’automne. Ce qu’on a fait. On savait que la vigne pouvait passer un bon cinq mois sous terre. Ça se faisait dans les pays de l’Est; ils cultivaient la vigne dans un genre de petit fossé qu’ils bouchaient l’hiver avec de la terre. Par contre, ils déterraient ça à la main au printemps. Le gros défi était donc de mécaniser l’opération pour déterrer la vigne après l’hiver pour pouvoir produire à une échelle commerciale. On y est arrivé au printemps 1983 avec un tracteur enjambeur qui permet de passer à cheval sur la vigne. Il fallait ensuite passer un peu à la main en arrière pour enlever la terre. Ça a pris environ 5 ans à travailler sur le tracteur avant de réussir à mécaniser l’opération de débuttage à 100%.
Au printemps 1983, après le premier hiver des vignes sous terre, on a observé l’état des bourgeons et dès la première année les résultats ont été concluants. En 39 ans, on n’a jamais perdu un pied de vigne à L’Orpailleur grâce au buttage. La température la plus froide qu’on a enregistrée sous la butte, c’est -7℃, alors que la température extérieure était de -30℃.
Photo: Technique du buttage
Quels sont les désavantages du buttage?
C’est sûr qu’à cause du buttage, on a été limité dans le choix des cépages. On a essayé dès le départ de planter plusieurs viniferas, beaucoup plus sensibles au froid, et on se rendait compte que les bourgeons à fruit ne résistaient pas à l’hiver. Ils ne mourraient pas à cause du froid, mais à cause de la moisissure parce que la terre était trop humide. Conscients de cela, la plupart des vignerons ont donc planté des hybrides français, comme le seyval ou le vidal, plus résistants aux maladies, mais qui doivent tout de même être protégés l’hiver.
Quand avez-vous commencé à penser à d’autres façons de protéger les vignes en hiver?
En 1995 et 1996, on a essayé un système de toiles. Ça se faisait notamment dans les pépinières à l’automne. Les toiles géotextiles, en plus de protéger un peu du froid, créent un microclimat sous elles. Ainsi, quand il fait -25℃ à l’extérieur, on arrive à avoir un -15℃ sous la toile. Ça a donné de bons résultats dans les pépinières alors c’est là que l’idée est venue de l’essayer dans les vignes. Mais à l’époque, on n’avait pas forcément des toiles de qualité. Après 2 ou 3 ans, elles étaient perforées et inutilisables. Comme ces toiles coûtent environ 15 000$ par hectare, il fallait être capable d’amortir l’investissement sur au moins 10 ans pour que ça vaille la peine. On avait donc baissé les bras.
C’était avant qu’Yvan Quirion, du Domaine Saint-Jacques, qui venait du monde de la construction arrive il y a maintenant une douzaine d’années avec une nouvelle proposition. Il a essayé des toiles de meilleure qualité, plus épaisses et plus durables, qu’il utilisait en construction. Ça a été un succès!
Photo: Toiles géotextiles installées sur les vignes.
Ce sont ces toiles géotextiles qui sont utilisées encore aujourd’hui par bon nombre de vignerons?
Oui. Aujourd’hui même les fabricants de toiles s’intéressent beaucoup au domaine agricole. Il y a tout un marché qui se développe, pas qu’en viticulture, pour créer des toiles géotextiles les plus résistantes possibles.
Au total, au Québec, 40% des superficies de vignes sont couvertes par des toiles géotextiles alors que 9% sont protégées du froid avec la méthode du buttage.
Aujourd’hui, les toiles géotextiles sont largement plus utilisées que le buttage. Pourquoi est-ce le cas?
Chaque méthode a ses avantages et ses inconvénients. Le buttage demande un équipement plus dispendieux, notamment ce fameux tracteur enjambeur. Le deuxième inconvénient est qu’on doit tailler le pied de vigne très court pour pouvoir l’enterrer, ce qui donne des petites vignes, avec des raisins très bas. La vendange doit donc se faire complètement à la main.
Sous toile, on arrive à faire des pieds de vigne plus haut, ce qui permet de récolter à la machine. Ce qui n’est pas négligeable. L’autre avantage de la toile est qu’elle permet de cultiver des cépages viniferas.
Sur quoi les vignerons travaillent-ils actuellement pour devenir plus résilients face aux hivers québécois?
Je pense que la pose de la toile va beaucoup évoluer au cours des prochaines années. On veut voir comment on peut mécaniser encore plus la pose des toiles pour diminuer les coûts de production. Parce qu’il faut être conscient que cette obligation de protéger les vignes est un coût important dans les vignobles du Québec que les vignobles d’ailleurs dans le monde n’ont pas. Il faut donc continuer à faire de la recherche pour rendre notre travail plus efficace !