Au printemps, les vignerons québécois qui ont couvert leurs vignes de toiles pour les protéger du froid pendant l’hiver doivent les enlever. Mais quel est le meilleur moment pour le faire? Entre expériences personnelles et données scientifiques, il n’y a pas toujours de bonnes ou de mauvaises réponses.

Andréanne Hébert-Haché et son équipe du CRAM (Centre de recherche agroalimentaire de Mirabel) se sont penchées sur la question. Ils ont calculé le rendement de vignes en fonction des moments d’installation et de retrait de toiles hivernales sur cinq sites, avec trois cépages, trois types de géotextiles, et ce, pendant trois hivers.

Les conclusions de cette étude menée de 2018 à 2021 ont été que les dates d’installation et de retrait des toiles ont des impacts variés dépendant des sites, des cépages et des années, mais une tendance s’est dessinée concernant le moment du retrait.

«Nos recherches ont démontré une légère réduction de survie et de rendement quand les toiles sont enlevées tardivement», explique la chercheuse spécialisée en viticulture nordique.

Pourquoi? On sait que les chaleurs maximales qu’on peut observer au printemps créent un effet de serre sous les toiles.

«Ce qu’on ne sait pas encore exactement c’est comment cela crée des dommages aux bourgeons et comment cela nuit au rendement, souligne Andréanne Hébert-Haché. On sait que pour que la vigne débourre [ndlr : réveil de la vigne], elle a besoin de chaleur, mais trop de chaleur juste avant le débourrement ne semble pas une bonne chose. D’un autre côté, si on enlève les toiles trop tôt, les vignes pourraient être endommagées par un épisode de grand froid tardif dans la saison.»

Donc, entre effet de serre et risque de gel printanier, le vigneron doit naviguer pour trouver le bon moment pour enlever ses toiles géotextiles entre la fin mars, le début avril – selon les années -, et la fin avril.

«C’est un enjeu unique au Québec, souligne la chercheuse. Parfois, il va y avoir encore beaucoup de neige dans les vignes de certaines régions au début du mois d’avril, donc on n’aura pas accès aux champs et on ne voudra pas non plus entreposer des toiles humides. Chaque vigneron doit prendre ses décisions selon les paramètres de son vignoble.»

Entre les réalités physiologiques de la vigne qui ne sont pas encore très bien comprises, et les considérations pratico-pratiques, les données des recherches du CRAM peuvent compléter les expériences vécues par les vignerons d’expérience.

Le savoir de lexpérience

Yvan Quirion, du Domaine St-Jacques, est l’un deux. C’est à lui que l’on doit l’utilisation de toiles géotextiles de meilleure qualité et moins denses qui sont aujourd’hui utilisées par la majorité des vignobles québécois pour protéger du froid les vignes de vitis viniferas (chardonnay, pinot noir) et d’hybrides français (vidal).

Depuis 2006, il a essayé toutes sortes de façons d’installer et d’enlever les toiles, il a développé des équipements pour le faire, testé différents matériaux et différents moments de les retirer. En échangeant continuellement avec ses collègues vignerons Charles-Henri de Coussergues du Vignoble de l’Orpailleur, Michael Marler du Vignoble Les Pervenches, et bien d’autres qui sont venus lui demander conseil, en plus des chercheurs, il a fait évoluer les connaissances sur cet enjeu qui est au cœur de la viticulture québécoise.

«Ma lecture pour le meilleur moment de retirer les toiles est plus tôt que tard, mais j’affirme ça avec beaucoup de bémols et beaucoup d’humilité, dit-il. J’ai initié une technique qui marche, mais on l’a raffiné avec nos essais-erreurs et ceux des autres. Il n’y a pas de recette toute faite.»

Le vigneron se souvient d’un nouveau collègue qui a gardé ses vignes sous toiles plus longtemps espérant leur donner artificiellement des degrés-jours de plus, mais qui a perdu une partie de sa récolte, car ses vignes avaient débourré trop vite et elles ont été affectées par un gel tardif ensuite.

«Il y a aussi une question d’intuition, basée sur l’expérience, mais aussi sur les conditions de chaque vignoble, croit le vigneron. C’est quoi ton terroir, ta période végétative, ton climat? Comment ta vigne a été préparée pour l’hiver, sa taille, sa lignification? As-tu eu du gel à l’automne? À chaque année suffit sa peine, donc je dis aux nouveaux vignerons de prendre des notes et de poser des questions. Il n’y a pas quelque chose qui me fait plus de peine de voir un vigneron qui a perdu une partie de sa récolte, car il n’a pas posé de questions ou demander un avis!»

L’invitation est donc lancée. Si vous avez des interrogations sur le moment d’enlever vos toiles géotextiles, donnez un coup de fil à Yvan! Et aux amateurs de vins, la prochaine fois que vous buvez un vin québécois au printemps, pensez à toutes les expériences et les essais et erreurs qui ont été faits pour que vous puissiez le déguster.

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