Profession : œnologue
Ils sont rares comme la neige au mois de juillet et préfèrent généralement travailler dans l’ombre. À la frontière entre l’agronome, le microbiologiste et le chimiste, les œnologues constituent pourtant l’ingrédient indispensable à toute bonne cuvée!
Afin de démystifier cette profession encore méconnue chez nous, nous nous sommes entretenus avec Jérémie d’Hauteville et Richard Bastien, œnologues diplômés et fondateurs d’OenoQuébec, une firme d’œnologie-conseil. Joignez-vous aux échanges…
Un œnologue, c’est quoi?
Jérémie:
« On est là pour encadrer techniquement les producteurs; ceux qui se lancent comme ceux qui sont déjà en activité. Le volet “démarrage” commence à la plantation par le choix des cépages en fonction de la situation géographique du vignoble et de ce que le vigneron a envie de faire comme vins.
« Une fois le raisin planté, on s’attarde sur l’aménagement du chai en fonction du budget et du volume qu’on veut produire. Après, c’est la mise en place des schémas de vinification, de la récolte du raisin jusqu’à sa mise en bouteille et à son vieillissement.
« Là commence vraiment le côté “conseils” en œnologie, c’est-à-dire le suivi des différentes cuvées, la formation du producteur, les dégustations, les analyses pour s’assurer que la vinification emprunte le bon chemin… On peut aussi aider à la commercialisation et à la mise en marché du produit. »
Pour quelles raisons y a-t-il peu d’œnologues au Québec?
Richard:
« Le titre d’œnologue relève d’un diplôme qui n’est pas dispensé au Canada et qui correspond à une maîtrise en œnologie. On a étudié longtemps en France [en Bourgogne et en Champagne] pour acquérir cette expertise sur la chimie du vin.
« Quand on est arrivés au début des années 2000, le Québec vitivinicole n’était pas où il en est aujourd’hui. On entendait beaucoup de gens se proclamer œnologue, mais il y avait pas mal de charlatanisme. On s’est battus pour protéger notre titre. C’est pour ça qu’on a monté ce cabinet : pour répondre à un besoin et vraiment asseoir le métier d’œnologue. »
Quel regard jetez-vous sur l’évolution du vignoble québécois?
Actifs au Québec depuis une quinzaine d’années et acteurs importants de la croissance de l’industrie, les deux œnologues partagent leurs constats…
Richard:
« Au début, on s’est concentrés sur la vinification. Il y a 10-15 ans, on faisait beaucoup plus du curatif. Les producteurs avaient un problème avec leur production et nous appelaient.
« Aujourd’hui, on travaille beaucoup plus en amont, en prévention. On a formé au maximum nos producteurs de vins pour donner des techniques de base pour s’assurer de produire des vins de qualité. Aujourd’hui, on travaille plus au niveau de la viticulture et de la connaissance approfondie de chaque cépage. L’avenir des vins au Québec est maintenant plus au champ qu’à la cave. »
Jérémie:
« Il y a 15 ans, la vitiviniculture, c’était comme un train qui allait très lentement. Le producteur pouvait descendre à la gare et rembarquer quand il voulait. Il pouvait se permettre de faire quelques erreurs.
« Maintenant, le train va vite, il faut arriver à le prendre et on ne peut pas en descendre. Un projet de vignoble doit être bâti, réfléchi et sérieux. L’industrie s’est professionnalisée et la qualité des vins a augmenté. »
Avec les années, avons-nous établi un profil précis pour les vins du Québec?
Richard:
« Il reste à trouver une identité forte. Maintenant qu’on est capables de faire pousser à peu près n’importe quoi, qu’est-ce qui caractérise le vin du Québec? On ne le sait toujours pas. On essaie beaucoup de choses, on fait de tout et on cherche toujours. On va où le vent souffle. Il y a 15 ans, c’était les blancs, les bulles et le vin de glace, aujourd’hui ce sont les vins nature, les pétillants naturels, les vins orange ou en amphores. Sans compter la diversité de vins rosés et rouges…
« En plus, les vitis viniferas [cépages d’origine européenne considérés plus nobles que les hybrides traditionnellement utilisés au Québec] sont arrivés pour rehausser la qualité. On est à 50 cépages au Québec pour environ 1 000 hectares de vignes. En Bourgogne, on a quatre cépages pour 30 000 hectares… Il y a une sélection naturelle qui va se faire au cours des prochaines années. »
Jérémie:
« C’est la beauté d’être dans un nouveau pays producteur : tout est possible, tout est faisable dans le respect des normes en vigueur. Le temps va faire les choses. On va arriver à une maturité de superficie et de cépages, entre les hybrides et les viniferas. Cette précision va se faire d’ici 10, 20 ou 30 ans, et on arrivera à une certaine maturité de l’industrie au niveau des produits et des prix. »
Quelles relations entretenez-vous avec les vignerons avec qui vous travaillez?
Richard:
« Jérémie et moi suivons une trentaine de producteurs chacun. On travaille en fonction des sensibilités de chacun; nous sommes donc devenus des touche-à-tout. Tout nous intéresse et tout est intéressant. On travaille toujours avec certains producteurs avec lesquels on a démarré il y a 15 ans. Aujourd’hui, ils sont heureux, épanouis et très reconnaissants. Pour nous, c’est formidable d’être partis d’une feuille blanche et d’arriver à une industrie qui est viable, qui roule et qui est saine. »